Monday, December 29, 2008

Bullet time effect >>>>>















"La pensée occidentale est viciée par son appétit de cohérence, son illusion de cohérence. Sur quelque notion qu'elle se porte, elle se met en position de frontal pour lancer sa lumière, sans se soucier des côtés ni surtout du derrière, qui ne sont pas dans son champ. Elle traite les notions comme privées d'épaisseur, ne considère que les avers. Or toutes notions sont à facettes, dont on ne voit qu'une à la fois. La pensée, qui procède de la vision, ne permet, comme celle-ci, d'atteindre des objets qu'un seul de leurs côtés qui leur fait face ; il lui faut, pour poursuivre son examen, tourner ; mais alors tout l'entour a son orientation changée, sans que, le plus souvent, s'en avis le penseur. La prise de la pensée est fragmentaire, ne peut être que fragmentaire, et c'est de quoi la pensée occidentale n'est pas assez consciente.

C'est par le même oubli des épaisseurs et du derrière que la pensée occidentale aspire à tout résoudre par l'univoque et qu'elle se trouve si mal à l'aise où soufflent à la fois le chaud et le froid. Qui est pourtant le lieu de toute chose, le chaud étant fait de froid et le froid de chaud. Il n'y aurait pas de lumière s'il n'y avait pas d'obscurité ; où il n'y a pas d'obscurité ne peut exister la lumière. Où il n'y a pas de pleur ne peut exister la joie. Où les pleurs faiblissent, la joie faiblit. C'est son défaut d'accomodation à cette constante double valence de toutes notions et c'est son entêtement à éliminer les envers qui mettent la pensée de l'occidental en même situation qu'une géométrie plane en regard des polyèdres."

Jean Dubuffet, in Asphyxiante culture 
(Asphyxiating culture)
Les Editions de Minuit, 1968

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